Recruter, former, séduire : le secteur de la menuiserie sur tous les fronts
Avec une croissance inattendue de l’activité de la fabrication et de la pose de fenêtres en 2021, les difficultés de recrutement se sont accentuées. Le secteur peut toutefois s’appuyer sur des acteurs qui cherchent à mettre en avant le milieu du bâtiment et espèrent ainsi apaiser les tensions.
La rengaine est virale dans la menuiserie : « Nous n’avons pas assez de bras » ; « Nous ne trouvons pas de personnes qualifiées »… Et en effet, en ce début d’année 2022, le secteur de la menuiserie est tiraillé. D’une part, il se réjouit d’une année 2021 aux résultats excellents au vu du contexte, et d’autre part, il se heurte à l’incapacité des usines et entreprises à suivre la cadence par manque de bras. Un problème auquel s’ajoutent les pénuries de matériaux et l’augmentation du prix des matières premières (+46,4 % entre décembre 2020 et juin 2021 pour le PVC et +45,7 % pour l’acier). Difficile pour l’industrie de la fermeture d’anticiper une croissance telle que celle observée en 2021. Aucune mesure de recrutement exceptionnelle n’a donc été prise, malgré plusieurs années de tensions à ce sujet. Ainsi, en 2021, sur un total de 2,7 millions de projets de recrutement tous métiers confondus, 217 610 ont été recensés dans la construction par Pôle emploi (ce nombre a été multiplié par deux depuis 2017). Et 62,9 % de ces recrutements ont été jugés difficiles par les entreprises de la construction (une hausse de 12,1 points par rapport à 2017). La menuiserie, évaluée comme neuvième secteur le plus en tension par l’Observatoire des métiers du BTP, a connu entre 2015 et 2019 une augmentation du nombre d’offres de 47 %. Philippe Macquart, délégué général de l’Union des fabricants de menuiseries (UFME), explique ainsi la conjoncture : « Nous avons été surpris de l’effet Covid, qui a donné lieu à une telle croissance. Or, nous avons perdu 30 % en fabrication entre 2012 et 2019, et repris presque 10 % de volume en plus cette année. Mais avec les années passées, nous n’avions plus la main-d’œuvre suffisante. D’autant plus que nous ajustons la fabrication à la demande. » Et la demande nationale, c’est 89 % de fenêtres françaises, comme le rappelle le délégué général.
Des problématiques de recrutement
sous-estimées
La conjoncture économique s’accompagne de nouvelles problématiques de recrutement pour les entreprises, qui s’additionnent aux difficultés traditionnelles. « Les intérimaires sont de plus en plus nombreux à refuser les CDD ou CDI qu’on leur propose », cite comme exemple révélateur Marie-Annick Coué, DRH du groupe Atlantem. Les primes, un salaire plus élevé et de nombreuses offres d’emploi sont tout autant de facteurs qui poussent les personnes en intérim à le rester. Ainsi, ce type de contrat représente la moitié des offres d’emploi du secteur de la menuiserie. Une proportion qui résonne avec le propos de Marie-Annick Coué : « Nous utilisons aussi l’intérim comme période d’essai, afin de tester le salarié. » Une problématique qui concerne surtout les grosses entreprises. Pour ce qui est des TPE et PME de fabrication et de pose, les difficultés se trouvent ailleurs. Selon une étude de l’Observatoire des métiers du BTP, les petites entreprises, qui ne disposent généralement pas de service RH, ont du mal à formaliser leurs besoins. Cela se répercute sur les fiches de poste qu’elles diffusent. Le temps, la surcharge de travail, couplés aux pénuries et augmentations des prix, sont aussi de grands ennemis du recrutement, comme l’explique Guillaume Halphen, dirigeant de l’entreprise Roussel Stores à Paris, (3 à 3,5 millions de CA ; douze poseurs et deux stagiaires) : « Les petites structures ont des difficultés à trouver du temps pour
chercher des candidats et les former. Et nous avons d’autant plus envie que les essais soient réussis. Il y a un réel enjeu autour des ressources humaines. »
Des failles dans les dispositifs de recherche d’emploi
Des problématiques concrètes, qui seraient d’ailleurs sous-estimées par Pôle emploi selon Dominique Vignot, directrice du campus de formation Fab21 : « Pour le secteur de la menuiserie, il y a une difficulté supplémentaire, le segment métier menuiserie n’existe pas. Ce n’est pas une filière métier selon les codes NAF du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion. » Le SNFA aboutit à la même constatation dans le domaine de la menuiserie aluminium, comme l’explique Diane Boulmier, responsable de la communication et de la formation : « Nous avons décelé une faille dans le système : si un conseiller Pôle Emploi recherche le code Rome dédié au métier de la Menuiserie Aluminium, celui-ci n’existe pas. Un demandeur d’emploi Menuisier Aluminium tout comme une offre d’emploi pour ce métier sera soit classé dans le code Rome de Menuisier – Poseur (F1607) soit dans celui de la Métallerie (F1502) ; 2 métiers connexes mais avec d’autres spécificités et des formations spécifiques pour y accéder. Un point important qui peut justifier la méconnaissance de ce métier et les difficultés à trouver de la main d’œuvre ». Une faille qui concerne pourtant un métier de la pose et de la fabrication de menuiseries extérieures dont les compétences se diversifient. C’est ainsi, en rassemblant des études et en faisant une veille du secteur, que Dominique Bardiaux, ingénieur de formation sectorielle menuiserie bois & multimatériaux à l’Afpa, réévalue actuellement les compétences liées aux métiers de la menuiserie. Ses recherches sont notamment utilisées pour la révision des référentiels emploi activités compétences des titres professionnels (REAC) du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion : « Pour le titre professionnel de menuisier poseur-installateur, nous avons remarqué que les compétences de pose de portes, portillons, clôtures et stores bannes sont désormais très répandues, notamment depuis la pandémie. » Philippe Macquart, délégué général de l’UFME, ajoute de son côté que « les gens en usine comme dans les entreprises de pose n’ont pas eu le temps de voir passer le train de la fenêtre thermique et acoustique. » Les professionnels lui demandent donc régulièrement des mises à niveau sur ces questions. Selon lui, la tendance est structurelle : « La progression des technologies est bien plus rapide que celle des compétences. » Ainsi, Dominique Bardiaux note aussi que dans le secteur de la fabrication, même les petites et moyennes entreprises sont dotées à présent de machines à commande numérique, et que les compétences qui y sont liées doivent donc se démocratiser. C’est donc tout naturellement que le numérique s’impose peu à peu dans le secteur de la menuiserie, notamment au moyen des systèmes de domotique. À défaut de trouver des menuisiers poseurs ou fabricants de fenêtres, les entreprises se tournent vers des métiers connexes, comme le serrurier ou le peintre, loués par Dominique Vignot pour leur précision et leur connaissance du secteur. Et Guillaume Halphen continue : « Nous allons valoriser des profils d’électriciens, qui ont des compétences précieuses pour les installations programmées. » Ils apprennent ensuite en centre de formation ou directement dans des structures mises en place par les entreprises. Cela n’empêche pas les jeunes qui arrivent sur le marché d’apporter des appétences et compétences générationnelles : « Nos deux nouveaux stagiaires sont très intéressés par la programmation, cite comme exemple Guillaume Halphen. C’est une tendance de fond. »
Attractivité en berne
Néanmoins, comme les personnes interrogées aiment le dire, la principale compétence recherchée est la motivation, et par extension, un certain savoir-être avant un savoir-faire. Et c’est bien le fond du problème : le métier de menuisier n’attire pas. Et les jeunes formés à poser ou fabriquer des fenêtres ne sont pas assez nombreux. Le nombre d’inscrits en formation de menuiserie a baissé de 29 % entre 2008 et 2015. Hervé Lamy, délégué général du groupement Actibaie, signale : « Il n’y a pas de formation initiale purement destinée à la pose de fenêtres. » Selon lui, cette absence rend le secteur invisible. Une telle spécialisation pourrait toutefois sembler précoce pour des adolescents (voir l’article ci-dessous). Les formations proposées par CCCABTP, même si elles ne sont pas spécifiques à la fenêtre, sont aussi destinées à ces métiers. Ainsi, l’association recense actuellement 8 270 personnes en formation de menuiserie en France, pour 294 CAP et une centaine de brevets professionnels. Elle compte aussi, dans certains centres de formation, des sections spécifiques pour la fenêtre. Il faut aussi noter que 124 parcours sur les 409 proposés au total sont dédiés à la pose. Ici encore, les formations ont régulièrement besoin de mises à jour. Ce à quoi Philippe Macquart a participé en 2020 : « Il fallait notamment que nous introduisions des notions aux exigences techniques. » Les acteurs se penchent donc plus sur la formation continue, au travers notamment de l’apprentissage via le contrat de professionnalisation, les titres professionnels, qui tendent à devenir de plus en plus importants, et les certificats de qualification professionnelle (CQP). L’UFME a justement mis en place un CQP pour la fabrication de fenêtres qui sera effectif à partir de juin 2022. « Ils sont un moyen de faire reconnaître les compétences de professionnels qui ont appris le métier sur le tas », précise Philippe Macquart. L’apprentissage reste de son côté un levier efficace et traditionnel utilisé par les entreprises pour former et recruter. Ainsi, trois entreprises sur dix ont recours à l’apprentissage pour pallier les difficultés de recrutement : les apprentis ont représenté 14 % des salariés en 2018/2019 contre 11 % en 2017/2018.
Quelques alternatives : Geiq et formations internes
Mais d’autres systèmes peuvent soutenir les entreprises dans leur démarche. C’est le cas des Groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (Geiq). Moins connus, ils permettent aux entreprises d’être accompagnées aussi bien dans le recrutement que dans la formation, comme l’explique Francis Levy, secrétaire général de la Fédération française des Geiq : « Un Geiq est une structure qui est créée par des entreprises d’un même secteur d’activité, sur un même territoire, pour répondre ensemble à un même besoin de recrutement. Il est employeur et va recruter des personnes éloignées de l’emploi, en faisant jouer plusieurs relais. » Roussel Stores a adhéré à un Geiq il y a un an, et vient d’accueillir deux stagiaires après avoir participé à la création du parcours de formation. Autre cas de figure : Atlantem, qui s’appuie sur le groupe Herige, met en place des formations internes, explique Marie- Annick Coué. « Nous développons des actions de formation en situation de travail (Afest). Pour un poste donné, nous écrivons un processus d’acquisition des connaissances et les étapes à franchir pour les valider. Nous n’avons donc pas besoin de menuisiers à proprement dit. » L’entreprise a aussi pour idée de mettre en place une Atlantem Académie, destinée à ses clients professionnels désireux de former des poseurs : « Ce serait à la fois un moyen de fidéliser nos clients, d’apporter des compétences professionnelles et de créer pour cela une structure de formation. »
Séduire les jeunes
Toujours est-il que le secteur a actuellement du mal à recruter. Entreprises comme acteurs n’hésitent pas à mettre en lumière les axes qui peuvent être améliorés. Certains signes se montrent encourageants, à l’image des résultats de la dernière campagne de recrutement de CCCA-BTP dédiée au BTP en 2021 : « 15 000 candidats ont répondu à l’appel, s’enthousiasme Franck Le Nuellec, directeur du marketing, développement et innovation stratégique du CCCA-BTP. Nous en espérons 50 000 lors de la prochaine campagne. » Pour cela, ils mobilisent tous les réseaux sociaux, et notamment les plus appréciés des jeunes, comme TikTok et Instagram. Et il est aussi intéressant de remarquer que 20 % des candidats sont en reconversion, « alors qu’ils n’en représentaient que 10 % les années précédentes », précise Franck Le Nuellec. Un regain d’intérêt pour les métiers du BTP qui doit être accompagné par les entreprises, comme le montrent certains indicateurs : « Huit jeunes sur 10 entre 15 et 25 ans affirment vouloir intégrer les métiers du bâtiment dans le but d’être acteur de la transformation écologique et numérique, les deux étant liés au mieux-vivre. Pour la menuiserie, c’est donc la rénovation énergétique qui prime », selon les études de CCCA-BTP, communiquées par Franck Le Nuellec. Et Francis Levy ajoute : « Le salaire compte, évidemment, mais aussi l’ambiance de travail pour les jeunes. » Finalement, au-delà des problèmes inhérents au secteur de la menuiserie, c’est toute la filière du bâtiment et ses entreprises qui entrent en jeu pour séduire les nouveaux talents et redorer son image. Car le secteur du bâtiment subit encore une forme de stigmatisation, même si cela pourrait s’améliorer à l’avenir. « Nous devons aller les chercher, lancer des campagnes de recrutement et les intéresser, prévient Guillaume Halphen, chez Roussel Stores. Nous ne pouvons pas nous autoriser à rester en retrait », conclut le dirigeant.
Source : lemoniteur.fr